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Reconnaissance de la ségrégation et du déplacement des métis dans les colonie et mandats belges d’Afrique

Mar 30, 2018

Ce jeudi 29 mars 2018, la proposition de résolution concernant la ségrégation subie par les métis issus de la colonisation belge en Afrique que j'ai déposée avec des collègues de tous les groupes politiques a été adoptée - fait rare et encourageant - à l'unanimité par la Chambre des Représentants.

 

Cette proposition avait, le 7 mars dernier, bénéficié du soutien unanime de la commission des Relations Extérieures, ce qui laissait peu de doute sur l’issue favorable du vote de ce jeudi au vu de la position forte exprimée par les groupes politiques démocratiques représentés au Parlement.

 

Par ce geste, la Chambre reconnaîtra un épisode peu connu de notre histoire, lié, pourtant, à l’une de ses périodes les plus polémiques : celle de la colonisation.

 

L’histoire à l’origine de la résolution


Si on ne peut comparer les pratiques belges à l’apartheid ayant eu cours en Afrique du Sud ou dans l’ex-Rhodésie du Sud britannique (actuellement le Zimbabwe), à l’instar des autres puissances coloniales, la Belgique a imposé dans ses possessions d’outre-mer un régime de ségrégation raciale. De fait, les Noirs et les Blancs ne jouissaient pas des mêmes droits et des mêmes prérogatives sur le territoire de l’ancien Congo belge et du Ruanda-Urundi. On qualifie souvent ce régime de ségrégation « d’apartheid soft » dans la mesure où certains noirs pouvaient acquérir certains droits supplémentaires selon leur niveau de « civilisation » (dont les critères étaient établis par le colonisateur). L’égalité des droits avec les Blancs et l’accès complet à la citoyenneté étaient, en revanche, totalement exclus.

 

Il faut donc insister sur le fait que la ségrégation visait toutes les catégories raciales présentes au Congo belge et au Ruanda-Urundi, et pas uniquement les métis.

 

Dans cette séparation raciale soigneuse, les métis - alors appelés « mulâtres » - représentaient cependant un cas particulier à plusieurs égards. Premièrement, ces fruits d’unions entre Blancs et Noires posaient un problème moral puisque très souvent le résultat d’adultères. De ce fait, le principe même de la « supériorité morale » des colons blancs était ainsi remise en cause. Deuxièmement, les populations métissées posaient un problème juridique dans l’ordre du régime de ségrégation. En effet, ces enfants étaient-ils Blancs ou Noirs ? Les autorités coloniales répondirent à ces questions en créant un statut hybride supplémentaire, accompagné de mesures particulières.

 

Les enfants métis - reconnus ou non par leur père - seraient ainsi séparés très jeunes de leur mère, et placés dans des internats leur étant réservés où des congrégations religieuses offraient un enseignement de moindre qualité que celui dispensé aux Blancs, mais de meilleure qualité que celui donné aux Noirs, notamment axé sur les métiers techniques. Cette politique se rapproche de celles menées en Australie et au Canada dans des circonstances similaires. Le but était bien de créer une classe proprement congolaise formée selon des critères occidentaux et aussi détachée que possible des traditions locales.

 

Cette politique de confinement des enfants métis ne prendra fin qu’avec les indépendances malgré l’assouplissement de la ségrégation scolaire en 1948. Cette période des indépendances nous amène au deuxième volet des événements reconnus par la résolution de la Chambre des Représentants, dont ils sont une suite logique.

 

A cette époque, les autorités belges, l’APPM (chargée par l’Etat de la protection des « mulâtres ») et les responsables religieux chargés des internats pour métis craignent, à tort ou à raison, pour la sécurité de cette population née du mélange. Les sœurs de l’internat de Savé (Rwanda) vont jouer, à cet égard, un rôle déterminant en convaincant tant l’APPM que les autorités coloniales de la réalité du péril encouru par les enfants et les institutions dont elles avaient la charge lorsque le moment de la passation de pouvoir entre colonisateur et états africains nouvellement indépendants serait venu.

 

Dans ce cadre, ils vont, ensemble, organiser une opération de transfert de centaines (certains évoquent le chiffre de 800, mais le nombre exact n’est pas établi) d’enfants issus de l’est du Congo, du Rwanda et du Burundi vers la Belgique. Cela sans en informer leurs mères africaines et encore moins en obtenant leur consentement. Des familles seront ainsi séparées pour longtemps, parfois pour toujours.

 

Une fois arrivés en Belgique, les enfants sont placés dans des orphelinats et dans des familles d’accueil. La plupart des enfants sont dépouillés de leur identité, soit parce que les autorités coloniales ont détruit certains documents d’identité de bonne ou de mauvaise foi, soit parce que les documents sont manquants ou ont été perdu dans le chaos du déplacement, soit tout simplement parce qu’on ne connait pas l’identité de leur géniteur européen. Une (faible) minorité, la plus chanceuse, est recueillie par leurs pères ou leurs familles.

 

Pour ne rien arranger, dès le début des années ’60, le gouvernement belge à l’initiative du Ministre de la Justice, Albert Lilar, prend des mesures afin de clarifier le statut national des personnes issues de ses anciennes colonies : elles ne pourront prétendre à la nationalité belge. Les enfants métis dont l’identité du père n’était pas établie se sont donc vu remettre une carte de résident qui ne leur permettait de ne se déplacer qu’au sein des pays du Benelux, faute de pouvoir se faire délivrer un passeport belge. Ces mesures seront annulées rapidement, mais les démarches pour faire corriger cette situation au niveau individuel resteront peu connues des principaux intéressés ou de leurs familles d’accueil, beaucoup d’entre eux étant encore mineurs. Faute d’acte de naissance valide ou de documents en faisant office, ces enfants métis devenus adultes auront le plus grand mal à régler administrativement leur situation et à accomplir des actes aussi naturels que celui de se marier.

 

Enfin, le flou entourant l’identité réelle de ces enfants a également facilité leur adoption par des familles venues de toute l’Europe et d’Amérique du Nord, brouillant encore plus leur origine.

 

Toutes ces situations ont été la source de grandes souffrances morales et psychologiques, tant pour les métis eux-mêmes que pour leurs mères africaines, dont l’établissement de l’identité reste aujourd’hui un défi, d’autant que le temps presse, le cycle de la vie faisant petit à petit son œuvre.

 

Parcours parlementaire


C’est avec cette histoire vécue mouvementée que l’Association des Métis de Belgique (AMB) est venue trouver les parlementaires fédéraux, après avoir contacté les élus du Parlement francophone bruxellois, du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Sénat.

 

Leurs revendications visaient à obtenir tant la reconnaissance que d’obtenir des facilités dans la recherche de leurs origines et la solution aux problèmes administratifs ayant découlé de leurs situations personnelles.

 

Ils ont pu rencontrer chez moi  une oreille compréhensive, ce qui me pousse à déposer dans le courant de 2017 une proposition de résolution avec un large soutien des formations présentes au Parlement (des élus MR, NVA, CD&V, Open VLD, Ecolo-Groen et CDh y apposant leurs signatures).

 

Inscrite à l’agenda de la Chambre, la proposition est discutée au début de 2018, et des auditions sont organisées pour éclairer au mieux les membres de la Chambre. A l’issue de celles-ci, tant les partis de la majorité que ceux de la minorité s’entendent pour porter un texte commun, signé par la plupart des formations représentées au Parlement (MR, NVA, CD&V, OpenVLD, PS, SP.a, Ecolo-Groen, CDh et Défi). Fruit d’un travail interpartisan cordial, cette nouvelle proposition reçoit, le 7 mars 2018, le soutien unanime des membres de la Commission des Relations Extérieures de la Chambre des Représentants.

 

Contenu de la Résolution


Outre la reconnaissance par la Chambre des Représentants des faits historiques évoqués ci-dessus, la résolution est assortie de plusieurs demandes au gouvernement.

 

Ainsi, ce dernier devra œuvrer afin de réparer ou corriger les problèmes administratifs subsistant, notamment ceux liés à la nationalité des métis concernés. La Chambre n’a pas jugé utile de prévoir des modifications de législation en la matière, les lois existantes étant estimées suffisantes pour solutionner cet aspect des choses.

 

En coordination avec les actions entreprises par les entités fédérées, le gouvernement fédéral sera également amené à donner tout son concours afin de faciliter l’accès des métis et de leurs ayant-droits aux archives les concernant, qu’il s’agisse d’archives entre les mains de l’Etat belge, d’Etats étrangers ou d’institutions privées. Par ailleurs, le CEGESOMA sera chargé d’approfondir ses recherches sur les circonstances de ces déplacements d’enfants métis vers la Belgique.

 

Les postes diplomatiques belges dans la région des Grands Lacs sont également sollicités afin d’aider les enfants métis à retrouver leur mère biologique ou leur famille. Il était en effet important de leur permettre de se reconnecter avec leur héritage africain.

 

Enfin, il est prévu que le Gouvernement fédéral, à l’instar de la Chambre, fasse une déclaration solennelle concernant les faits évoqués par la résolution et fera ériger un monument (plaque, œuvre d’art) dans un lieu ouvert au public afin d’entretenir le devoir de mémoire.

 

Conclusion


Une telle reconnaissance par la Belgique d’actes réalisés par ses autorités ou avec son implication directe n’est pas inédite, mais il ne s’agit pas pour autant d’un geste anodin dénué de signification. Il s’agit d’un acte fort et rare.

 

Certains métis ont mieux vécu que d’autres ces événements, mais tous gardent en eux une souffrance et un traumatisme que le temps se refuse à effacer.

 

Il était important que la collectivité nationale puisse le reconnaître pour permettre à ces compatriotes de refermer ces cicatrices ouvertes il y a trop longtemps déjà. Il est aussi important que la Belgique ait le courage de regarder ses erreurs en face et puisse dire à ces citoyens qu’ils ont droit à toute la considération de leur pays.

 

Sur ce sujet précis, il était donc vraiment important que toutes les formations politiques du Parlement puissent se retrouver autour d’un texte commun, et je suis vraiment fière d’y avoir concouru. 



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